Le smartphone appauvrit notre rapport au corps
L’auteur de science-fiction à succès Alain Damasio n’a jamais eu de téléphone portable. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir un avis tranché sur la question. Dans son dernier essai, “Vallée du Silicium”, il constate que nous avons délégué à nos smartphones la connaissance de notre propre corps.
“Il faut reconnaître que le smartphone offre un sentiment de puissance qui est génial. On a l’impression de mieux maîtriser le monde, de mieux contrôler les choses.” Mais ce sentiment de toute-puissance, qui permet de conjurer bien des peurs, se fait au détriment du corps et du rapport aux autres, explique Alain Damasio dans l’émission Tribu, en amont de sa venue au festival Digital Dreams, à Lausanne, les 7 et 8 septembre.
“Une vie à caresser une vitre”
L’écrivain rappelle que les smartphones privilégient les sens de la vue et de l’ouïe, au détriment du toucher. “C’est une vie passée à caresser une vitre. Les toucher à l’ère du smartphone sont des touchers lisses, non striés, non habités, non texturés. Ce n’est pas comme toucher une écorce, du bois ou de la terre. Tout a été édulcoré et mis dans une espèce de second corps”, autrement dit le téléphone.
L’auteur des best-sellers “Les Furtifs” et “La Horde du Contrevent” souligne que plus ce corps est désinvesti, plus il est monitoré via les appareils. “Le smartphone a développé une façon d’habiter son corps qui est très appauvrie. On a tendance, paradoxalement, à utiliser beaucoup de technologies, de capteurs de tension, de pouls, de fièvre, c’est-à-dire des bijoux connectés, (…) qui permettent d’avoir un monitoring du corps, ce corps même qu’on ne sent plus vraiment, dont on n’est plus vraiment sûr.” En guise d’exemple, on peut citer les personnes qui ont besoin de regarder les données de leur smartphone pour savoir si elles ont bien dormi.
Le confort du techno-cocon
Pour Alain Damasio, une autre conséquence de l’usage massif des smartphones est une forme de coupures aux autres. “On reste dans ce confort du techno-cocon, qui est très individualisé, très personnalisé, mais qui ne se confronte pas à un dehors, un dehors dont on a absolument besoin (…) Je crois qu’on a besoin d’être troublés. Je crois qu’on a besoin d’être confrontés à ce qui n’est pas nous, à ce qui n’est pas familier, et que ce rapport à l’altérité nous rend vraiment plus riches.”
Auteur :Julien Magnollay/Tribu